Au cœur de l’Égypte, là où les minarets se découpent sur la poussière dorée du ciel et où le Nil murmure son éternelle prière, la danse soufie continue de tracer ses cercles lumineux. Elle est l’écho d’une quête immémoriale : celle de l’union avec le divin, de la dissolution de l’ego dans le mouvement perpétuel.
Sous les voûtes du Caire ancien, dans les zāwiyas aux murs blanchis par le temps, les derviches tournent encore, gardiens d’une tradition où le corps devient le vecteur d’un souffle qui ne s’éteint jamais.
Héritière du Sama’ de Konya, la danse soufie d’Égypte s’est enracinée dans une terre où les civilisations ont toujours dialogué avec le ciel. Introduite par les confréries soufies venues d’Anatolie et du Maghreb, elle a trouvé sur les rives du Nil un langage propre : celui de la Tannoura.
Ce terme, qui signifie littéralement « jupe » en arabe, désigne à la fois le costume et la danse elle-même.
Le mot Tannoura (التنورة) vient de tanūra, « jupe » ou « robe ample ». En Égypte, il ne désigne pas seulement le vêtement tournoyant des derviches, mais une pratique spirituelle devenue symbole d’union divine.
Les jupes colorées portées par les danseurs représentent les sphères de l’univers : la terre, l’eau, le feu, l’air et la lumière. Lorsque le danseur tourne, ces cercles de tissu s’élèvent et s’ouvrent comme les anneaux du cosmos, évoquant la rotation des planètes autour du soleil.
Chaque couleur correspond à un degré d’élévation spirituelle, et chaque tour exprime la quête de l’âme vers son centre immobile.
Le danseur, en tournoyant, s’efface dans le mouvement : il devient axe, souffle, prière. Ainsi, la Tannoura n’est pas un spectacle, mais une offrande en spirale, un hommage à l’harmonie cachée du monde.
Au fil du temps, la Tannoura égyptienne s’est ouverte à la scène tout en gardant son essence rituelle. Les derviches tournent au rythme des tambours et des flûtes nay, créant un dialogue entre la terre et le ciel.
Ce n’est pas une performance mais une liturgie du mouvement : le danseur ne montre pas, il disparaît. Dans sa rotation, il incarne l’union entre la matière et l’esprit, entre le souffle du monde et la lumière de l’Invisible.
Dans les ruelles du vieux Caire, non loin de la mosquée al-Hussein et du souk de Khan el-Khalili, les sons du dhikr se mêlent aux bruissements du monde. Là, chaque vendredi, des confréries soufies perpétuent le souvenir des anciens maîtres.
Les tambours résonnent, le nay s’élève comme une plainte céleste, et la jupe du danseur s’ouvre telle une fleur offerte à la lumière. Les cercles tracés par les derviches rappellent la forme du cosmos, la spirale du temps, l’ordre secret de l’univers.
Le Nil, reflet du mouvement éternel
Comme le fleuve qui traverse le pays, la danse soufie en Égypte coule, serpente et se renouvelle. Elle relie les époques, unit les hommes au souffle divin.
Chaque tour est une offrande, chaque pas un retour vers la Source. Et lorsque la musique s’arrête, il demeure cette vibration silencieuse, semblable au frémissement du Nil sous la lune : un rappel que toute chose danse, que tout mouvement est prière, et que la spirale du monde n’a ni commencement ni fin.