Il y a, dans le calendrier des hommes, des dates qui semblent ordinaires, presque discrètes. Et pourtant, certaines d’entre elles vibrent comme une corde secrète : dès qu’on la frôle, le cœur reconnaît un chant ancien.
Le 17 décembre est de celles-là.
Car le 17 décembre 1273, à Konya, Jalâl ad-Dîn Rûmi a quitté ce monde.
Mais dans la langue intime des soufis, on ne parle pas de fin. On parle d’union. On parle de noces.
On dit Shab-e Arus, Şeb-i Arus en turc : la Nuit des Noces, la Nuit de l’Union, la Nuit du Retour. Et ce nom, à lui seul, renverse notre manière de regarder l’invisible : pour Rûmi, ce passage n’est pas une fracture, c’est une rencontre. Ce n’est pas l’effacement, c’est l’accomplissement.
Imaginez un instant : la plupart des traditions pleurent ce que le monde perd. Rûmi, lui, contemple ce que l’âme retrouve.
Dans la vision mevlevie, cette nuit n’est pas le souvenir d’une disparition : elle est la célébration d’une réunion avec le Bien-Aimé, Dieu, l’Essence, la Source, quel que soit le nom qu’on ose poser sur l’infini.
Alors, les larmes se transforment. Elles ne tombent plus comme une plainte : elles deviennent une eau de purification. Et le deuil, s’il existe encore, se retourne comme un tissu : il montre, de l’autre côté, une lumière.
Sanctuaire de Rumi, Konya :
À Konya, ces commémorations ne tiennent pas en une seule soirée. Elles prennent la forme d’une semaine (souvent du 7 au 17 décembre), avec un point culminant autour du 17.
Des visiteurs viennent du monde entier, attirés par quelque chose qui dépasse le folklore : une atmosphère, une gravité douce, une ferveur sans agressivité, un appel intérieur.
Au centre de ces journées : le Sema, la cérémonie de rotation sacrée de la tradition mevlevie, intimement liée à l’héritage de Rûmi.
On croit parfois que le Sema est un “spectacle”. On se trompe, ou plutôt, on ne voit qu’une surface.
Le Sema est un langage. Un langage sans phrases, mais chargé de sens : le corps devient une lettre, la rotation devient une phrase, le souffle devient un verset. Dans sa forme rituelle, la cérémonie suit une structure précise, portée par la musique mevlevie et une progression intérieure.
Ce n’est pas un art pour briller.
C’est un art pour disparaître, non pas s’effacer, mais s’alléger.
Comme si l’être humain, un instant, cessait de se croire séparé.
Et ce n’est pas un détail : le Sema mevlevi est reconnu comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité (UNESCO), ce qui souligne sa portée culturelle et spirituelle au-delà des frontières.
Il serait facile de laisser cette nuit “appartenir” au XIIIᵉ siècle. Mais les vraies nuits sacrées ne vieillissent pas : elles se déplacent, elles traversent les générations, et viennent frapper à nos portes, au moment exact où nous en avons besoin.
Les Noces de Rûmi posent une question simple, et vertigineuse :
Et si le mot “noces” nous trouble, c’est peut-être parce qu’il ne parle pas seulement de l’après. Il parle du maintenant.
Il parle de l’union intérieure. De la paix qui ne dépend pas des circonstances. De ce point fixe, au centre de la spirale, où l’on cesse de lutter.
Si vous souhaitez approfondir, je vous invite à :
Car au fond, c’est peut-être cela, la plus belle définition de cette nuit :
Une nuit où l’on ne perd rien…
Une nuit où l’on retrouve.
Jalāl al-Dīn Rūmī : biographie, date et lieu de décès https://www.britannica.com/biography/Rumi
Djalâl ad-Dîn Rûmî : mort à Konya le 17 décembre 1273, notion de Shab-e Arus https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%BBm%C3%AE
The Mevlevi Sema Ceremony : reconnaissance officielle du rituel mevlevi https://ich.unesco.org/en/RL/mevlevi-sema-ceremony-00100
Etablissements anciens découverts dans la plaine de Konyai https://sacredsites.com/middle_east/turkey/shrine_of_rumi_konya.html
Les informations historiques et spirituelles présentées dans cet article s’appuient sur des sources institutionnelles, académiques et culturelles reconnues, notamment l’Encyclopædia Britannica, l’UNESCO, les institutions culturelles de Konya et des travaux universitaires de référence sur l’œuvre et l’héritage de Jalâl ad-Dîn Rûmi.